Eglise Catholique de Sfax

Le blog de la paroisse de Sfax


Expérience de prêtre à Sfax

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Le témoignage de Père Yvon

«On m’a demandé de partager mon expérience de prêtre à Sfax... Comment pouvoir partager une expérience de quelques 37 ans? Mission impossible? Je le pensais. Par bonheur, j’ai retrouvé un texte que j’avais écrit en mars 2001 pour une rencontre du presbyterium... Tout y est, ou presque. Bonne lecture!»

Comment je comprends ma vie de prêtre et de "responsable" à Sfax.


Pour comprendre l’esprit dans lequel je vis aujourd’hui mon sacerdoce, il faudrait remonter assez loin, au 8 septembre 68, lorsque avec Jean-Marie Guillemot (prêtre du diocèse comme moi), nous avons débarqué à Sfax, avec en tête et dans le cœur cette petite phrase, accouchée "dans les douleurs d’un enfantement difficile" à la session pastorale de juillet de la même année, invitant les membres de notre Eglise, prêtres y compris, à "participer, d’une manière si minime soit-elle, à l’effort de développement de la Tunisie". L’Eglise, "ici comme ailleurs" nous rappelait-on, est "pour la communauté humaine, telle qu’elle est et telle qu’elle se fait concrètement".Nouveau venu à Sfax, me trouvant donc dans une nouvelle orientation qui s’offrait à moi, je désirais très fort prendre ces options au sérieux. Pour Jean-Marie, le choix était fait et il était clair: il entrait dans l’Enseignement Public Tunisien. Moi, je cherchais "un signe". Il m’a été donné assez vite par un père de famille dont une des filles était handicapée mentale. Il désirait trouver pour elle un lieu d’accueil.

Ainsi a pu commencer, en 71/72, après quelques péripéties, la prise en charge deux fois par semaine, d’une quinzaine d’enfants handicapés mentaux, avec deux ou trois parents et quelques bénévoles, dont j’étais... Ce qui deviendra par la suite la section de l’UTAIM de Sfax, officiellement inaugurée, Dominique Tommy Martin étant alors à Sfax, le 14 janvier 1974.

Les années ont passé, riches de solidarité réelle et fraternelle que nous avons vécues, Dominique et moi, et que nous continuons à vivre d’une manière un peu différente.

Pour moi, venant de Tunis, c’était ma première expérience d’une plongée dans le monde tunisien et de plus dans un secteur où il s’agissait de personnes meurtries par la vie. Elle a été très enrichissante, du fait, entre autre, que je m’y sentais très à l’aise, comme homme et comme prêtre (je n’ai jamais fait la distinction), partie prenante de tout un courant de vie avec le milieu des enfants et adolescents handicapés mentaux et leurs éducateurs. Pas besoin de se casser la tête pour y retrouver l’Evangile. On y était en plein!

De plus, je découvrais que cette façon ouverte de vivre ma vocation de prêtre-curé de la paroisse (alors riche en participants très divers: anciens, jeunes enseignants et médecins, pétroliers, femmes de F.M., français, polonais et autres…) a favorisé l’esprit d’ouverture de la communauté au monde dans lequel on partageait tous la vie quotidienne, en nous y intégrant en quelque sorte comme chrétiens, chacun à sa manière.

Peu à peu se confirmait en moi et dans la communauté (prêtres, religieuses, laïcs) la nécessité d’être à la fois partie prenante de ce milieu humain et aussi de favoriser autant que faire se pouvait, toute rencontre possible entre gens différents par la nationalité, la culture, la religion etc... De là ma participation, assez brève du fait d’un contexte politique changeant, à la section d’A. Internationale et à celle des Droits de l’Homme. De même aussi à Tunisie-France avec quelques personnes de la communauté.

Périodes riches de rencontres qui permettaient de faire tomber bien des barrières ou des murs de Berlin séparant des individus ou des communautés. Des amitiés sont nées là, certaines sont demeurées solides.

De même, à notre Maison paroissiale du 52 T.Mehiri, toutes les occasions étaient bonnes pour rassembler les différences (pratiquants ou non, chrétiens ou non): rencontre des débuts d’année scolaire, ou encore "la Saint Nicolas" en déc., la veillée de Noël, le repas du jour de Pâques dans notre cour, "la fête de fin juin" avant la dispersion de l’été... Le groupe d’ados tunisiens, à l’aise chez nous et celui des jeunes de Facs réunissant tunisiens et étrangers, musulmans et chrétiens... Le groupe de dames du "club Mathilde" (en souvenir de sœur Mathilde qui en était à l’origine) réunissant des femmes de couples mixtes et d’autres, tunisiennes ou étrangères, se retrouvant chaque mardi avec plaisir pour fabriquer des jeux éducatifs pour les handicapés, tout en partageant joies et difficultés. (Aujourd’hui - 2010: le club est toujours bien vivant).

Après l’UTAIM: AVICENNE (IBNOU SINA) où, avec Dominique, nous avons été associés avec nos amis tunisiens, voilà plus de 10 ans, (au moment où ce texte a été écrit) à la création de cette Association pour la prise en charge des enfants et adolescents psychotiques et autistes... Là aussi, une expérience de "vie-avec" au service d’une catégorie de personnes particulièrement défavorisées.

En évoquant cet aspect de ma vie à Sfax, je pense à cette prière que nous adressons à Dieu pour notre Eglise: Fais de ton Eglise en ce monde le signe visible de l’unité, des hommes dans l’Amour de Dieu, et de la paix, celle que le Christ nous offre. Je pense aussi à des textes forts de Vatican 2, ceux de l’Eglise au Maghreb, aux paroles de Jean-Paul 2 à la cathédrale de Tunis, le 4 avril 96.

Je pense encore à ce que vivent dans ce sens en fait ces communautés chrétiennes, celles du nord et celles du sud de la Tunisie, petites communautés dispersées dans les villages ou les quartiers des villes, attentives à l’humain tel qu’il est et se vit à leur porte. Ne sont-elles pas ainsi fidèles à l’esprit du "Verbe de Dieu qui est venu planter sa tente parmi nous? Sans aucun doute! (Aujourd’hui - 2010: la présence dans le sud se limite à Gabès / Oudref, Gafsa et Sfax).

Je voudrais dire aussi que je ne crois pas, comme on l’a laissé entendre, que le fait de vivre cette proximité dont j’ai parlé, nous ait empêché, nous autres prêtres, d’avoir le souci constant de notre petite communauté chrétienne. Pour nous, elle garde sa place, et toute sa place, comme lieu de ressourcement spirituel évangélique. De même que nous portons souci de ceux qui "se tiennent à la porte", voulant, comme ils le disent "prendre des distances avec l’institution". Certains restent proches de nous, parce que, comme l’exprime l’un d’eux, ils retrouvent dans notre façon de vivre et de les intéresser à certaines de nos activités, des valeurs dont ils sont eux-mêmes porteurs. Jésus ne leur dirait pas, me semble-t-il : "vous devez venir à la messe", mais plutôt sans doute: "Vous n’êtes pas loin du Royaume de Dieu" et si notre communauté, si modeste soit-elle, y a été pour quelque chose, du fait que nous essayons, sans toujours y arriver, d’être témoins de "cet amour de Dieu, infiniment respectueux des hommes, qui ne s’impose pas, n’impose rien, ne force pas les consciences et les cœurs" (Pierre Claverie)... Eh bien! Nous pouvons en rendre grâce à Dieu!

Je suis maintenant à la phase descendante de ma vie. (Aujourd’hui - 2010: Je le pensais déjà... en 2001!). Les choses peuvent changer. D’autres sèmeront, arroseront... à leur manière? "Ce sera autrement" comme on me le répète très justement. Mais je crois, et il me semble que nous le croyons tous et toutes, il y a une orientation qui n’est pas celle de tel ou tel, mais celle de l’Eglise du Maghreb, une orientation qui a été réfléchie, analysée, priée, discutée, expérimentée, et exprimée très clairement dans des documents signés par tous les évêques de la CERNA. Il ne faudrait pas la brader.

Points d’appui, parmi d’autres, pour maintenir l’orientation prise par nos Eglises du Maghreb :

"Le respect des personnes est une des expressions les plus fondamentales de l’amour évangélique... Le respect réciproque conduit aux engagements à prendre ensemble dans toutes les tâches qui font grandir l’homme. Il n’y aurait pas de fidélité à l’Evangile pour les disciples de Jésus s’ils ne prenaient leur part de ce qui divise les hommes les uns contre les autres. Tout ce qui assure le venue du partage et du respect consolide la réconciliation, fait advenir la paix et prépare l’unité." (CERNA - Le sens de nos rencontres. 4 mai 79 - Cité dans "Eglises du Maghreb", 2000, p. 6)

"L’Eglise a fait le passage à un service plus humble et davantage ouvert aux réalités du pays... Cette situation nous rapproche de l’Evangile. Pour la plupart d’entre nous les chemins du dialogue inter-religieux passent par les rencontres de la vie quotidienne." (CERNA, p.8)

"Nos Eglises se trouvent sur "des lignes de fracture de l’humanité"... C’est sur ces lignes de fracture qu’elles sont appelées, malgré leur petitesse, à devenir signe d’espérance." (CERNA, p.12)

Jean-Paul 2 à la cathédrale de Tunis, le 4 avril 96:

"Frères et sœurs de Tunisie et du Nord de l’Afrique, vous constituez ici l’Eglise du Christ. Vous êtes témoins de la Bonne Nouvelle, à la suite des grands saints qui ont marqué cette terre... Petit troupeau certes mais divers par les langues, la culture, les origines, vous êtes une image parlante de l’Eglise universelle. Par vos liens avec le Nord et le Sud, l’Orient et l’Occident, soyez ici des ferments d’unité et de solidarité. Par votre implantation dans ce pays accueillant, grâce à votre amitié fraternelle avec vos compagnons de travail ou vos voisins de quartier, par vos échanges dans la vie de tous les jours comme dans la réflexion sur le sens de la vie... laissez transparaître la grâce que vous avez reçue d’être disciples de Jésus-Christ!"

"Nous voulons demeurer légers et nous alléger encore. Les seules structures qui vaillent dans l’Eglise sont celles qui favorisent la communion entre les personnes et communautés. Nous nous efforcerons de les développer ensemble... Revenir sans cesse à l’homme tel qu’il est, tel que nous le connaissons, parce qu’il est notre voisin, notre collègue ou notre ami, y revenir sans masque et avec la passion de le comprendre, de mieux le connaître pour mieux le servir et l’aimer, c’est là notre chemin vers Dieu. Qu’il soit chrétien, musulman ou athée, qu’il soit proche par la culture et la langue ou étranger, c’est avec lui que nous construirons un monde nouveau." (Pierre Claverie, en la cathédrale d’Oran le 9 octobre 1981)

Père Yvon Jutard

5 commentaire(s):

Anonyme a dit…

Bonjour, je suis ravie de vous retrouver ici.

Polo et Yvon, voilà deux prénoms qui font partie de mon enfance à jamais...

Que devenez-vous ?

Anonyme a dit…

Yvon,

J'ai eu la chance de te revoir en juillet de cette année à Port Leucate. 41 ans après, nous étions quelques anciens du groupe "Dynamit's Club" de la Cathédrale de Tunis, dont tu as été l'aumônier de 1965 à 1968 à nous être réunis autour de toi, pour t'exprimer toute notre affection et toute notre reconnaissance.
Tous les bons moments de partage, d'amitié et joie que nous avons pu vivre grâce à toi resteront à jamais gravés dans nos têtes et dans nos cœurs. Que Dieu te donnes la santé encore longtemps.
Silvana

Noëlle a dit…

Yvon, j'ai eu la chance de grandir près de toi !Tes enseignements m'ont été très précieux.Je suis très heureuse de pouvoir lire ces quelques phrases. J'espère te revoir très bientôt. Dès que je reviendrai à Sfax.

Noëlle A

Françoise a dit…

Quel bonheur de "tomber" sur ce site et de lire tes quelques lignes toujours aussi "ressourçantes" ! La communauté de Sfax, les amis, restent dans nos coeurs .... même bientôt 30 ans après ! Yvon, n'oublie pas que nous attendons ta visite !

vincent a dit…

Merci Yvon pour ce témoignage.
Et merci aussi au créateur de ce site, qui nous permet d'avoir des nouvelles du 52, avec quelques belles photos, qui rappellent beaucoup de souvenirs : Dominique, Paulo, Éliane, Lucien, Anne-Catherine,... et tant d'autres dont j'ai oublié les noms.
Il me semble aussi reconnaître Mounir... n'est-ce pas ?

Dans cette période quelque peu troublée, pleine d'espoir, mais aussi d'inconnu et de crainte, je pense à vous et vous porte dans mes prières. Le monde a plus que jamais besoin de votre témoignage authentique au milieu de nos amis musulmans.

Vincent, coopérant Fidesco à Sfax 1996-1998

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