Eglise Catholique de Sfax

Le blog de la paroisse de Sfax


Père Paul - Notre-Dame d'Afrique

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La troisième partie du témoignage de père Paul

«Quand on vient à Notre Dame d’Afrique, c’est bien souvent parce qu’on a une grand peine sur le cœur : je suis malade, mon enfant est malade, mon mari me bat, il veut me divorcer, les jeunes veulent réussir leurs examens, les amoureux éconduits viennent demander à Marie de les réunir pour l’éternité…»

Je m’en ouvrais à mon père spirituel, mais celui-ci, tout en m’écoutant favorablement, voulait éprouver la force de mon appel, il me demanda de patienter encore un an avant d’entrer au séminaire, de même pour toutes les autres personnes que je rencontrais. Alors j’ai attendu toute une année en préparant pour la forme un concours d’entrer à l’École Nationale d’Agronomie, mais le cœur n’y était pas et durant cette année, j‘ai fait beaucoup de bêtises.

Là je n’enseignais plus à proprement parler n’ayant aucun diplôme de théologie, mais je guidais et formais les étudiants qui allaient suivre les cours à l’université. Au début j’étais en second, mais au bout de deux ans je devins le responsable du foyer où nous habitions. Je dus à ce moment-là transporter notre foyer à Toulouse. Là en plus de mon rôle de formateur je devins entrepreneur, car il fallait aménager ce nouveau foyer dans une maison qui n’était pas conçue pour y loger une équipe de jeunes Pères Blancs. Je ne savais pas que cela allait me servir plus tard comme je vais bientôt vous le montrer.

Au bout de 8 ans, dont 6 comme supérieur, je demandais, comme il se doit, à passer la main à d’autres responsables et on me proposait de retourner en Algérie.

J’avais été très content de ces années passées à la formation. Tout n’avait pas été parfait, nous étions dans une période de raréfaction drastique des vocations et cette ambiance de fin de règne avait engendré une ambiance assez délétère. Mais enfin nous avions fait de notre mieux.

Retourné en Algérie en 1986, je fus nommé à Batna, dans un petit poste avec une paroisse encore plus petite que la nôtre, ici à Sfax, faite de quelques chrétiens, d’étudiants africains et de médecins polonais. Pour occuper mon temps je jouais les assistantes sociales du Consulat de France auprès des femmes mariées à des algériens vivant dans une grande misère dans les petits villages du bled, et je permettais comme ici à mes autres confrères d’aller s’investir dans les associations d’aide aux handicapés, là c’étaient surtout les sourds et les aveugles.

Comme notre personnel diminuait, chaque année il fallait fermer des postes et je savais que celui de Batna n’allait pas durer longtemps. Mais ma surprise fut grande quand on me nomma recteur de la Basilique Notre Dame d’Afrique à Alger. En effet je n’avais jamais eu de responsabilités pastorales proprement dites, j’étais surtout un enseignant, même si je ne refusais pas à l’une ou l’autre occasion de faire du ministère. Là il y avait la pastorale classique à faire auprès des quelques chrétiens qui osaient fréquenter l’église, mais surtout il y avait à sauver cette basilique qui menaçait de tomber en ruine et à accueillir la centaine de musulmans qui venaient chaque jour prier Marie, car, Notre Dame d’Afrique, c’est surtout un lieu de pèlerinage. Il faut savoir que Marie est reconnue par l’islam, et l’islam populaire, qui est différent de l’islam des ulémas, n’hésite pas à fréquenter les lieux de pèlerinage chrétiens comme il fréquente ceux de leurs saints musulmans, leurs marabouts. On était en 1990 en pleine période de terrorisme, il fallait presque ce cacher pour venir prier à la Basilique. Les chrétiens étaient presque tous partis pour leurs pays, seuls les musulmans étaient là pour prier Marie.

Mais, là encore, j’allais me heurter à une mentalité laïcisante de quelques prêtres et religieuses qui entouraient l’évêque, qui étaient très influents et qui allaient dénigrer mon travail. Pour eux l’église avait autre chose à faire que de s’occuper d’un lieu de pèlerinage où il n’y avait presque que des musulmans, il valait mieux leur laisser l’église pour en faire une mosquée et consacrer tout cet argent à aider les pauvres et à lancer des œuvres sociales. Je compris de suite que je n’arriverai à faire quelque chose que si j’avais mon indépendance. Et la Sainte Vierge qui voulait que je sauve son église et qui était venue me chercher à Batna de façon spectaculaire répondit à mon appel. Par des dons miraculeusement mis à ma disposition et par des quêtes, je n’eus à demander aucun sou ni à l’évêché, ni aux Pères Blancs. Néanmoins je faisais tout dans l’obéissance à l’évêque en allant toujours demander son aval lorsque j’ouvrais un nouveau chantier et ceci ne m’empêchait pas d’aider les pauvres qui venaient nombreux à la Basilique.

Je me fis entrepreneur pour restaurer la Basilique, je trouvais l’argent et surtout les artisans capables de faire ces travaux d’art. Je fis faire des fresques, car la religion populaire aime les images. Je m’attirais des concerts de louange en faisant représenter sur les murs la vie de Saint Augustin. En effet à cette époque on remettait beaucoup en valeur ce grand homme du passé algérien. Je faisais aussi restaurer un bel orgue de Mutin-Cavailé-Coll qui n’avait jamais vraiment marché depuis qu’on l’avait transporté là en 1930 venant de chez un anglais mélomane, Monsieur Wedel. Je passais ainsi 12 belles années à travailler pour le rayonnement de Marie dans ce pays. Car, parmi les occupations intéressantes, il y avait surtout la charge d’accueillir les pèlerins.

Marie est reconnue par l’islam et l’islam populaire aime venir la prier dans les lieux de pèlerinage, même s’ils sont chrétiens, comme ils vont prier leurs saints auprès des marabouts. Nous faisions partie des 4 grands lieux de pèlerinage de la ville d’Alger. Il y avait chez nous de l’eau bénite, nous vendions des bougies à faire brûler, nous vendions des images et des médailles comme le désire toute religion populaire qu’elle soit chrétienne, musulmane ou bouddhiste, mais surtout nous écoutions les gens qui venaient nous parler.

Quand on vient à Notre Dame d’Afrique, c’est bien souvent parce qu’on a une grand peine sur le cœur : je suis malade, mon enfant est malade, mon mari me bat, il veut me divorcer, les jeunes veulent réussir leurs examens, les amoureux éconduits viennent demander à Marie de les réunir pour l’éternité… Or quand on est dans cet état, on est prêt à entendre une parole de consolation et d’encouragement. Nous nous faisions conseillers psychologique et même spirituels. C’est un travail très intéressant. On nous posait des tas de questions en toute liberté et j’avais pour principe de répondre à toutes ces questions, si bien sûr la personne parlait avec franchise et non avec une idée sournoise derrière la tête. Je répondais même aux questions sur la foi chrétienne tout en respectant la foi de l’autre. Ce travail pastoral est extrêmement gratifiant.

Mais pendant ce temps il fallait se méfier des terroristes. Au plus fort de la crise, quand l’armée a repris le pouvoir pour nous sauver, il y avait chaque jour 10 ou 20 morts à Alger. Nos journées étaient ponctuées par les coups des armes à feu. 19 évêque, pères et sœurs y ont perdu la vie. Tout le monde pensait que là haut sur la colline, bien en vue de tout Alger, je serai le premier à y passer. Mais, moi, je n’avais pas peur, car je savais que la Sainte Vierge avait une affection particulière pour les musulmans et qu’elle voulait que sa Basilique reste ouverte. Or, si on touchait à ma personne, notre père évêque, le Père Teissier, ferait certainement fermer définitivement la basilique. De fait, je n’ai jamais été inquiété, même pas racketté, comme touts les commerçants tout autour de nous. Mais c’est mon confrère, le Père Charles Deckers qui a payé pour moi. Il est a allé trouver la mort le 27 décembre 1994 à Tizi Ouzou, arrivant là-bas au poste juste 10 minutes avant les terroristes. Si vous allez à la cathédrale d’Anvers, vous y verrez son portrait toujours exposé car il y est pratiquement considéré comme un saint. Quant à moi, je considère que je suis resté pour poursuivre le travail qu’il n’a pas pu achever.

En 2001 il était temps de passer la main à plus compétent que moi pour entreprendre de vrais grands travaux de restauration de la Basilique. Je passais la main à mon confrère Bernard Lefèbvre qui a magnifiquement œuvré pour trouver les fonds et les spécialistes des monuments historique pour faire ce travail qui est en voie d’achèvement.

Je passais alors deux années à attendre le poste de directeur de maison de retraite qui m’était destiné en France. J’allais faire une session-retraite de 3 mois à Jérusalem, pendant 8 mois je m’occupais de la Maison Diocésaine d’Alger, je bouchais des trous de ci de là, mais c’est alors que l’histoire de mon vieux collège de Constantine vint me rattraper. En effet mes anciens élèves continuaient à venir me voir de temps à autre jusqu’à Alger, et ils se faisaient de plus en plus pressants pour que je lance des réunions d’ancien comme j’en avais déjà fait 4 avant la fermeture du collège. Or on était en 2003, le socialisme qui accapare les associations de jeunes avait vécu, le terrorisme n’était plus que résiduel, un vent de liberté soufflait, j’enquêtais tant à Alger qu’à Constantine, je vis que plusieurs collèges, lycées ou filières universitaires, tant du public que du privé, avaient lancé leurs associations d’anciens, la voie était libre pour que nous lancions la nôtre. À Constantine, grâce à un de mes anciens devenu médecin et un petit groupe de fidèles, je trouvais un accueil favorable et nous lancions une réunion préparatoire en décembre 2003, puis la première Assemblée Générale en juin 2004. Nous étions plus de 90, c’était un grand succès. Quelle émotion de se revoir après 28 ans de silence ! L’allégresse était dans tous les cœurs. Mais si je vous parle de cela, ce n’est pas tant pour la réunion en elle-même que pour la raison apostolique qui la sous-tendait.

En effet je constatais avec émotion et contentement que ce n’était pas tant le plaisir de se revoir après un si long silence que la joie de pouvoir revivre l’esprit du collège du Mansourah qui les réunissait. Quel était donc cet esprit qui les avait tellement marqués ? En soi ce n’était rien d’extraordinaire pour un éducateur consciencieux, c’était l’esprit de bien vivance propre à toutes les religions et tous les humanismes du monde. À savoir être droit dans sa vie, ne pas mentir, respecter l’autre, particulièrement les femmes, être honnête, faire consciencieusement son travail, avoir l’amour du beau… Ils voulaient revivre cela parce que, lancés dans la médiocrité de la vie ordinaire, ils s’étaient aperçus qu’ils n’étaient pas comme les autres, qu’ils avaient reçu une formation qui les situait à un niveau moral supérieur, et ils en étaient fiers, même si parfois ils avaient dû souffrir le dénigrement ou risquer le déclassement ou la prison pour vouloir y rester fidèle. De plus, tous ces anciens étaient devenus parents ou même grands parents et ils se désolaient de ne pas pouvoir offrir à leurs enfants semblable éducation à celle qu’ils avaient reçue. Ils auraient bien voulu que nous réouvrions un tel collège, c’était une utopie, mais ils voulaient au moins l’espace d’un moment revivre ensemble cet esprit qui les avait tellement marqués.

Mais pour moi quelle joie de voir que nos efforts n’avaient pas été vains. Je récoltais les fruits de ce que nous avions semé après une nuit de 28 ans ! Avec des moyens humains dérisoires nous avions travaillé et réussi à faire de grandes choses. Je n’avais jamais osé espérer tout cela.

Permettez-moi d’ailleurs, puisque nous sommes dans l’année du sacerdoce, de vous faire ici une remarque. On s’interroge toujours pour savoir comment définir ce que c’est qu’un prêtre. On tâtonne, on multiplie les diverses approches sans arriver à cerner avec précision en quoi cela consiste. Être prêtre, cela se vit avant de se définir et il ne faut pas être spécifiquement chrétien pour en avoir la perception. Être reconnu comme prêtre, je l’ai été dans nombre de milieux chrétiens, mais aussi de par les musulmans que j’ai rencontrés tant mes anciens élèves que les pèlerins de Notre Dame d’Afrique. Pourtant je n’ai pas exercé de ministère spécifiquement sacerdotal auprès d’eux, je ne leur ai pas parlé de Jésus Christ, mais ils m’ont vu homme de Dieu et intercesseur, et cela a suffit. Ils se sont confiés à moi, j’ai pu les guider, c’est tout cela et le reste qui fait l’essentiel du sacerdoce.

Enfin, après deux ans d’attente, je prenais le poste qui m’était destiné comme directeur de notre maison de retraite pour vieux pères blancs à Pau-Billère. C’était une autre occupation, car il n’est pas évident de pouvoir se mettre à la page de la législation très complexe de ce genre d’établissement. J’y faisais de mon mieux sentant que je serai l’un des derniers directeurs religieux de ces maisons dont la direction est maintenant confiée à des laïcs professionnels. J’avais quand même sous ma coupe 50 confrères ce qui en faisait la maison la plus importante de la Société.

Au bout de trois ans, à nouveau à ma grande surprise, je fus renvoyé au Maghreb où il semble que j’ai encore du travail à y faire. Je m’y tiens disponible pour pouvoir être utile dans les dernières années d’activité que le Seigneur me garde encore et qui ne peuvent pas être très nombreuses.

En somme la vie missionnaire est faite de beaucoup de surprises. On ne voit pas sur le moment les fruits de notre travail. Il faut travailler en ayant l’air d’être un serviteur inutile, mais si on a la chance, comme moi, de profiter du recul de l’âge, un jour tout s’éclaire et on est surpris de voir que ce qui nous semblait sans importance a produit un fruit inestimable. Saint Paul disait déjà à ses chers corinthiens : « J’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui fait croître. » Oui, c’est bien ce que l’on constate, le fruit du travail qu’on a fait ne peut venir que de Dieu, car notre travail n’avait pas en soi la valeur que nous voulions lui donner. Le Seigneur nous récompense au-delà de nos mérites, il fait souvent attendre sa consolation, mais quand elle arrive elle nous remplit de beaucoup de joie.

Merci de m’avoir écouté si longuement.

Revenir à la deuxième partie:
Témoignage de Père Paul - L'Appel
Sfax, le samedi 19 juin 2010
Paul Marioge

Voyez aussi :
Fête pour père Paul

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